> **De l'écoute à l'interprétation psychanalytique** > > **ARGUMENT** Jacques-Alain Miller nous indiquait déjà en 2003, dans son article intitulé « L'utilité sociale de l'écoute » que « l'écoute est devenue un facteur de la politique et un enjeu de civilisation.»[^1] Depuis un demi-siècle, les pratiques de l'écoute se sont développées massivement et étendues à tous les domaines de la société comme réponse au malaise social. La culture de l'écoute inféodée à notre culture démocratique offre à chacun la liberté de s'exprimer, de parler de ce qui le fait souffrir. La multiplication des dispositifs d'écoute dans les champs du social, du judiciaire, du médical et de l'éducatif en témoignent. Plus récemment, cette offre d'écoute s'est déployée durant la pandémie, proposant aux étudiants un accès gratuit aux consultations avec des psychologues en partenariat avec l'Université et la plateforme Santé Psy Etudiants. Un grand nombre d'étudiants a pu « faire usage » de ce nouveau dispositif et être accompagné dans ce moment délicat de l'existence. Ce moment de transition pose la question du choix de l'orientation du sujet dans la vie et sollicite une réponse, un *savoir y faire*  avec sa pensée, son corps et avec l'Autre, qui implique un ***temps-pour-comprendre*** lui permettant de se situer dans les discours de son temps. Nous constatons cependant, que cette tendance à l'universalisation des bienfaits de l'écoute prompte à servir une utilité commune de bien-être, s'accompagne d'une volonté politique d'encadrer et de standardiser les pratiques de l'écoute dont le sort réservé à la causalité psychique et à l'élaboration subjective du mal-être, interroge. **La psychanalyse considère que, *ce qui se dit* n'est pas toujours, *ce qu'on veut dire* et que cet écart structurel confronte le sujet à l'impossible de *Tout dire*.** Dans ce contexte politique et sociale, l'ACF en VD a fait le choix cette année pour son colloque d'interroger ces nouveaux enjeux et leurs conséquences dans la clinique à partir de la question de l'interprétation des symptômes contemporains, comme vecteur incontournable de l'orientation psychanalytique lacanienne : > **« De l'écoute à l'interprétation psychanalytique »** Une première question, introduite par E Zuliani, président de l'ECF, lors de l'ouverture à Question d'Ecole, nous y invite : « Comment faire avec des mots pour qu'ils touchent au réel ? »[^2] En effet, faute d'une écoute indexée sur le réel propre à chacun tenant compte de la subjectivité de l'époque, la lecture de la logique du symptôme peut devenir difficile voire inopérante dans le traitement de ses modalités de jouissance. Si le *Bien pour tous* vise la bonne marche du monde, la psychanalyse, comme le rappelle Lacan dans *Le Triomphe de la religion*, « s'occupe très spécialement de ce qui ne marche pas » et il ajoute « ce qui marche c'est le monde. Le réel c'est ce qui ne marche pas »[^3]. Nous assistons à un changement d'époque marqué par les effets du déclin du père dans les modalités du lien social qui a pour conséquence d'ouvrir sur une parole dans l'espace public où la dimension du réel s'impose en faveur d'une multiplication des revendications idéologiques et identitaires. Cette tendance identitaire dont s'empare les médias vise à promouvoir la suprématie du sujet du droit sur le sujet de la parole en faisant valoir un sujet identique à lui-même, un nouveau cogito que Jacques-Alain Miller formule ainsi : « je dis donc je suis » qui n'a pas à être interprété, ni interrogé. Cette dimension du dit dans sa forme déclarative et affirmative ne s'articule pas avec l'Autre de la différence. Elle fait barrage, à celui qui parle comme tel, à une ouverture sur un savoir sur lui-même qui lui échappe et a pour effet de réduire le sujet à son corps. Face à ce mouvement qui tend à dissoudre la subjectivité dans un Tout identitaire ou un Tout biologique du corps, émancipé de toute interprétation possible, la psychanalyse lacanienne ne recule pas devant les enjeux cruciaux de société que pose l'émergence de la science dans ces nouveaux discours. **Au cours de cette journée**, des psychanalystes membres de l'Ecole de la Cause freudienne, des psychiatres, des psychologues et des universitaires, orientés par leurs désirs décidés, nous feront entendre comment, ils s'emploient à répondre aux effets de ce changement d'époque dans leurs pratiques et leurs recherches - dans les services de médecine à l'université, BAPU, en psychiatrie, au département des études de cinéma. **En partenariat avec la librairie Sauramps, nous vous donnons Rendez-vous le Samedi 11 juin à l'auditorium du Musée Fabre.** Stéphanie Morel, déléguée régionale de l'ACF en VD. [^1]: Miller J.-A., « L'utilité sociale de l'écoute » Lacan Quotidien, 30 octobre 2003, disponible en ligne : https://lacan-quotidien.fr/blog/10/jacques-alin-miller-de-lutilite-sociale-de-lecoute/ [^2]: Zuliani E., Ouverture, *Question d'Ecole 2022.* [^3]: Lacan J., *Le triomphe de la religion*, Paris, Seuil, 2005, p. 76.